REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1861

Allan Kardec

Retour au menu
Appréciation de l'histoire du Merveilleux De M. Louis Figuier, par M. Escande, rédacteur de la Mode Nouvelle.

Dans les articles que nous avons publiés sur cet ouvrage, nous nous sommes principalement attachés à chercher le point de départ de l'auteur, et il ne nous a pas été difficile, en citant ses propres paroles, de prouver qu'il se base sur les idées matérialistes. La base étant fausse, au point de vue du moins de l'immense majorité des hommes, les conséquences qu'il en tire contre les faits qu'il qualifie de merveilleux sont par cela même entachées d'erreur. Cela n'a pas empêché quelques-uns de ses confrères de la presse d'exalter le mérite, la profondeur et la sagacité de l'ouvrage. Tous cependant ne sont pas de cet avis. Nous trouvons sur ce sujet, dans la Mode Nouvelle[1], journal plus sérieux que son titre, un article aussi remarquable par le style que par la justesse des appréciations. Son étendue ne nous permet pas de le citer en entier, et d'ailleurs l'auteur en promet d'autres, car dans celui-ci il ne s'occupe guère que du premier volume. Nos lecteurs nous sauront gré de leur en donner quelques fragments.



I

« Ce livre a de grandes prétentions, et il n'en justifie aucune. Il voudrait passer pour érudit, il affecte la science, il affiche un luxe apparent de recherches, et son érudition est superficielle, sa science incomplète, ses recherches hâtives, mal digérées. M. Louis Figuier s'est donné la spécialité de recueillir, un à un, les mille petits faits qui poussent, au jour le jour, autour des académies, comme ces longues rangées de champignons qui naissent du soir au matin sur les couches cryptogamifères, et il en compose ensuite des livres qui font concurrence à la Cuisinière bourgeoise et aux traités du Bonhomme Richard. Rompu à ce travail de compositions faciles, - inférieur au travail de compilation de ce bon abbé Trublet dont Voltaire s'est spirituellement moqué, - et qui lui laisse forcément des loisirs, il s'est dit qu'il ne lui serait pas plus difficile d'exploiter la passion du surnaturel qui enfièvre plus que jamais les imaginations, qu'il ne lui était difficile d'utiliser les partages presque toujours oiseux de la seconde classe de l'Institut. Habitué à rédiger des revues scientifiques avec les redites d'autrui, avec des abrégés de comptes rendus qu'il abrége à son tour, avec des thèses et des mémoires qu'il analyse ; habile à brocher plus tard en volumes ces réductions de réductions, il s'est donc mis à l'oeuvre ; et fidèle à son passé, il a compulsé, à la hâte, tous les traités sur la matière qui lui sont tombés sous la main, les a émiettés, puis il a repétri ces miettes à sa façon, et en a composé un livre, après quoi nous ne mettons pas en doute qu'il ne se soit écrié avec Horace : Exegi monumentum ; « moi aussi, j'ai élevé mon monument, et il sera plus durable que l'airain ! »

« Et il aurait raison d'être fier de son chiffonnage, si la qualité se mesurait à là quantité ! En effet, elle ne forme pas moins de quatre forts volumes, cette histoire du merveilleux, et elle ne contient que l'histoire du merveilleux dans les temps modernes, depuis 1630 jusqu'à nos jours, à peine deux siècles, ce qui en supposerait au moins un peu plus du double que les plus volumineuses encyclopédies, si elle contenait l'histoire du merveilleux dans tous les temps et chez tous les peuples ! Aussi, quand on pense que ce fragment de monographie d'une si vaste étendue ne lui a coûté que quelques mois de travail, on est d'abord tenté de croire que cet enfantement, à la fois si gros et si hâtif, est plus merveilleux que les merveilles qu'il contient. Mais cette fécondité cesse d'être un prodige, lorsqu'on étudie de près le procédé de composition dont il a fait usage, et, à vrai dire, il lui est si familier, qu'on ne pouvait pas s'attendre à ce qu'il en employât un autre. Au lieu de condenser les faits, de les exposer sommairement, de négliger les détails inutiles, de s'attacher surtout à mettre en relief les circonstances caractéristiques, et de les discuter ensuite, il s'est étudié uniquement à écrire un feuilleton plus long que ceux qu'il écrit hebdomadairement dans la Presse. Armé d'une paire de ciseaux, il a découpé, dans les ouvrages antérieurs au sien, ce qui favorisait les idées préconçues qu'il désirait faire triompher, écartant ce qui pouvait contrarier l'opinion qu'il s'était formée à priori sur cette importante question, ce qui surtout pouvait contrarier l'explication naturelle qu'il se proposait de donner des manifestations qualifiées surnaturelles par ce que les libres penseurs sont unanimes à appeler la crédulité publique. Car c'est encore une des prétentions de son livre, - et cette prétention n'est pas mieux justifiée que les autres, - que celle d'en donner une solution physique ou médicale nouvelle, trouvée par lui, solution triomphante, inattaquable, désormais à l'abri des objections des hommes assez simples pour croire que Dieu est plus puissant que nos savants. Il le répète en cent endroits de son ouvrage, afin que nul ne l'ignore, et avec l'espoir qu'on finira par le croire, quoiqu'il se borne à répéter ce qu'ont dit à cet égard, avant lui, tous ceux, physiciens ou médecins, philosophes ou chimistes, qui ont plus horreur du surnaturel que Pascal n'avait horreur du vide.

« Il en résulte que cette histoire du merveilleux manque à la fois et d'autorité et de proportions. Au point de vue dogmatique, elle ne dépasse pas les dénégations des dénégateurs antérieurs, elle n'ajoute aucun argument aux arguments qu'ils ont déjà développés, et en cette question comme en toute autre, nous ne comprenons pas l'utilité des échos. Il y a plus : tourmenté du désir de paraître faire mieux que Calmeil, Esquiros, Montègre, Hecquet et tant d'autres qui l'ont précédé et seront toujours ses maîtres, M. Louis Figuier s'égare souvent dans le labyrinthe confus des démonstrations qu'il leur emprunte, en voulant se les approprier, et finit parfois par rivaliser de logique avec M. Babinet. Quant aux faits, il les y a accumulés en immense quantité, quoiqu'un peu au hasard, tronquant, les uns, écartant les autres, s'attachant à reproduire de préférence ceux qui pouvaient offrir un certain attrait à la lecture ; ce qui prouve qu'il a principalement visé à un succès facile, à lutter d'intérêt avec les romanciers du jour, et nous sommes à nous demander comment il n'a pas engagé l'éditeur à comprendre son ouvrage dans l'amusante Bibliothèque des chemins de fer, afin qu'il allât plus droit à l'adresse de cette foule de lecteurs qui lisent pour se distraire et nullement pour s'instruire.

« Et son livre est amusant, nous ne le contestons pas, s'il suffit à un livre, pour posséder ce mérite, de ressembler à un ana composé d'historiettes accumulées en vue du pittoresque, sans trop de souci de la vérité ; ce qui ne l'empêche pas de s'y vanter à tout propos et hors de propos de son impartialité, de sa véracité : - une prétention de plus à ajouter à toutes celles que nous avons relevées, et dans laquelle il se drape avec d'autant plus d'affectation, qu'il ne se dissimule pas combien elle lui fait défaut. - Tel qu'il est, nous ne saurions mieux le comparer qu'à ces restaurants-omnibus, prodigues de comestibles, qui n'ont guère de séduisant que l'apparence, et qu'ils servent aux consommateurs un peu au hasard de la fourchette. Plus superficiel que profond, l'important y est sacrifié au futile, le principal à l'accessoire, le côté dogmatique au côté épisodique ; les lacunes y abondent d'ailleurs autant que les choses inutiles, et afin que rien n'y manque, il est plein de contradictions, affirmant ici ce qu'il dénie plus loin, si bien qu'on serait tenté de croire que, différent en cela au célèbre Pic de la Mirandole, - capable de disserter de omni re simili, - M. Louis Figuier a entrepris d'enseigner aux autres ce qu'il ne savait pas lui-même.



II

Nous pourrions borner là l'examen de cette histoire du merveilleux, si nous ne tenions pas à justifier ces sévères mais justes appréciations. Et d'abord avons-nous besoin d'ajouter que celui qui l'a écrite ne croit pas à la possibilité du surnaturel ? nous ne le pensons pas. En sa qualité d'académicien surnuméraire, - un surnumérariat qui ne se terminera probablement qu'avec sa vie ; - en vertu des pouvoirs que lui confère son titre de feuilletoniste scientifique, il ne pouvait soutenir d'autre thèse, sans s'exposer à être mis à l'index par l'armée dés incrédules dont il s'estime susceptible de faire partie. Lui non plus ne croit pas, et, à cet égard, son incroyance est au-dessus du soupçon. Il est du nombre « de ces esprits sages qui, témoins du débordement imprévu du merveilleux contemporain, ne peuvent comprendre un tel égarement en plein dix-neuvième siècle, avec une philosophie avancée, et au milieu de ce magnifique mouvement scientifique qui dirige tout aujourd'hui vers le positif et l'utile. » - Nous reconnaissons qu'il doit être pénible pour « ces esprits sages » de voir que l'esprit public se refuse ainsi à dépouiller ses vieux préjugés, et persiste à avoir des croyances autres que celles du positivisme philosophique, qui sont cependant celles de tous les animaux. Ce déboire ne date pas, du reste, seulement de nos jours. M. Louis Figuier en fait l'aveu, non sans dépit, lorsqu'il se demande, en termes ahuris, comment il a pu se faire que le merveilleux ait résisté au dix-huitième siècle, « dans le siècle de Voltaire et de l'Encyclopédie, tandis que les yeux s'ouvraient aux lumières du bon sens et de la raison. » Qu'y faire ? Elle est si vivace cette croyance au merveilleux, consacrée par toutes les religions, qui a été celle de tous les temps, de tous les peuples, sous toutes les latitudes et sur tous les continents, que les libres penseurs, satisfaits de l'avoir secouée par eux-mêmes et pour eux-mêmes, feraient sagement de s'abstenir désormais d'un prosélytisme dont ils savent l'inévitable insuccès.

« Mais M. Louis Figuier n'est pas de ces cœurs pusillanimes qui s'effraient à l'avance de l'inutilité de leurs efforts. Plein de confiance et de suffisance dans sa force, il s'est flatté de réaliser ce que Voltaire, Diderot, Lamétrie, Dupuis, Volney, Dulaure, Pigault-Lebrun, ce que Dulaurens avec son Compère Mathieu, ce que les chimistes avec leurs alambics, les physiciens avec leurs piles électriques, les astronomes avec leurs compas, les panthéistes avec leurs sophismes et les mauvais plaisants avec leur scepticisme de mauvais aloi, ont été impuissants à accomplir. Il s'est proposé de démontrer à nouveau et triomphalement cette fois que « le surnaturel n'existe pas, qu'il n'a jamais existé, » et par suite que « les prodiges anciens et contemporains peuvent être tous rapportés à une cause naturelle. » L'entreprise est ardue, les plus intrépides ont jusqu'ici succombé à la peine ; mais « une pareille conclusion, qui évincerait nécessairement tout agent surnaturel, serait une victoire remportée par la science sur l'esprit de superstition, au grand bénéfice de la raison et de la dignité humaines, » et cette victoire a flatté son ambition ; - victoire aisée à tout prendre, plus aisée que nous le supposions, si M. Louis Figuier ne s'est pas mépris lorsqu'il dit, dans son introduction, que « notre siècle s'inquiète assez peu des matières théologiques et des disputes religieuses. » Alors à quoi bon s'armer en guerre contre une croyance qui n'existe pas ? à quoi bon s'attaquer à des opinions de théologie dont nous n'avons nul souci ? à quoi bon s'en prendre à des superstitions religieuses qui ne nous préoccupent plus ? « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, » dit le poète, et il ne convient pas de faire sonner trop haut la trompette guerrière, si l'on n'a à combattre que des moulins à vent. Que voulez-vous ? M. Louis Figuier avait oublié, en écrivant ceci, ce qu'il avait écrit plus haut, lorsqu'il avouait, la honte au front, que notre siècle, sourd aux leçons de l'Encyclopédie et aux enseignements de la presse irréligieuse, s'était subitement épris du merveilleux et croyait plus que ses devanciers au surnaturel, aberration incompréhensible dont il ambitionnait de le guérir. Mais cette contradiction est si minime qu'elle ne valait peut-être pas la peine d'être relevée : nous en verrons bien d'autres, et encore serons-nous obligé d'en négliger beaucoup !

Donc M. Louis Figuier nie qu'il se produise de nos jours et qu'il se soit produit en aucun temps des manifestations surnaturelles. En fait de miracles, il n'y a que la science qui ait le pouvoir d'en faire : le pouvoir de Dieu n'a jamais été jusque-là. Encore quand nous disons que Dieu n'a pas ce pouvoir, avons-nous une sorte de scrupule de traduire incomplètement sa pensée. Reconnaît-il un autre dieu que le dieu nature, si admirable dans son intelligence aveugle, et qui accomplit des merveilles sans s'en douter, dieu chéri des savants, parce qu'il est assez débonnaire pour leur laisser croire qu'ils usurpent journellement un lambeau de sa souveraineté ? C'est une question que nous ne nous permettrons pas d'approfondir.

« Médiocrement merveilleuse, cette histoire du merveilleux débute par une introduction que M. Louis Figuier appelle un coup d'œil rapide jeté sur le surnaturel dans l'antiquité et au moyen âge, dont nous ne dirons rien, parce que nous aurions trop à en dire. Les manifestations les plus importantes y sont défigurées, sous prétexte de résumé, et l'on comprend qu'il nous faudrait trop de temps et d'espace pour restituer leur véritable physionomie aux milliers de faits qui n'y figurent qu'à l'état de raccourci.

« L'édifice est digne du péristyle ; cette histoire du merveilleux, pendant ces deux derniers siècles, s'ouvre par le récit de l'affaire d'Urbain Grandier et des religieuses de Loudun ; viennent ensuite la baguette divinatoire, les Trembleurs des Cévennes, les Convulsionnaires jansénistes, Cagliostro, le magnétisme et les tables tournantes. Mais de la possession de Louviers pas un mot, et pas un mot non plus des illuminés, des Martinistes, du swedenborgisme, des sygmatisés du Tyrol, de la remarquable manifestation des enfants en Suède, il n'y a pas cinquante ans ; à peine y est-il dit un mot des exorcismes du prêtre Gassner, et moins d'une page insignifiante y est consacrée à la voyante de Prevorst. M. Louis Figuier aurait mieux fait d'intituler son livre : Épisodes de l'histoire du merveilleux dans les temps modernes ; encore les épisodes qu'il a choisis peuvent-ils donner lieu à de sérieuses objections. Personne n'a jamais attribué aux tours de passe-passe de Cagliostro une signification surnaturelle. C'était un habile intrigant, qui possédait quelques secrets curieux, dont il sut habilement se servir pour éblouir ceux qu'il voulait exploiter, et qui possédait surtout de nombreux compères. Cagliostro méritait plutôt de trouver place dans la galerie des précurseurs révolutionnaires que dans le pandémonium des sorciers. Nous ne voyons pas également ce que le magnétisme a à faire dans cette histoire du merveilleux, surtout au point de vue où M. Louis Figuier s'est placé. Le magnétisme ressort de l'Académie de médecine et de l'Académie des sciences, qui l'ont trop dédaigné ; mais il ne peut intéresser le surnaturalisme qu'à l'occasion de quelques-unes de ses manifestations, celles que M. Louis Figuier a négligées du reste, afin de réserver l'espace qu'il lui a consacré au récit de la vie de Mesmer, des expériences du marquis de Puységur et de l'incident relatif au fameux rapport de M. Husson. Nous avons traité, il y a deux ans, cette importante question, et nous n'y reviendrons pas, parce que nous ne pourrions que nous répéter. Nous laisserons aussi de côté celle des tables tournantes, que nous avons examinée à la même époque. Il y aurait cependant beaucoup à dire sur l'explication naturelle et physique que M. Louis Figuier prétend fournir de cette danse des tables et des manifestations qui en sont la suite ; mais il faut savoir se borner. Laissons-le donc se débattre avec la Revue spiritualiste et avec la Revue spirite, deux revues publiées à Paris par les adeptes de la croyance à la manifestation des Esprits, qui l'accusent d'avoir écrit son réquisitoire sans avoir au préalable entendu les témoins et consulté les pièces du procès. L'une et l'autre prétendent qu'il n'a jamais assisté qu'à une seule séance spiritualiste, et qu'à son arrivée, il eut soin de déclarer que son opinion était arrêtée, que rien ne l'en ferait changer.

« Est-ce vrai ? nous ne savons. Tout ce que nous pouvons affirmer, c'est qu'après avoir repoussé, avec juste raison, la solution de M. Babinet, par les mouvements naissants et inconscients, il finit par l'adopter pour son propre compte, tant il est inconscient lui-même de ce qu'il pense et de ce qu'il écrit, et la preuve la voici. « Dans ces réunions de personnes fixement attachées, dit-il, pendant vingt minutes ou une demi-heure, à former la chaîne, les mains posées à plat sur une table, sans avoir la liberté de distraire un instant leur attention de l'opération à laquelle elles prennent part, le plus grand nombre n'éprouve aucun effet particulier. Mais il est bien difficile que l'une d'elles, une seule si l'on veut, ne tombe pas, pour un moment, en proie à l'état hypnotique ou biologique. (L'hypnotisme lui fournit une réponse à tout, ainsi que nous le verrons plus tard.) Il ne faut peut-être qu'une seconde de durée de cet état pour que le phénomène attendu se réalise. Le membre de la chaîne tombé dans ce demi-sommeil nerveux, n'ayant plus conscience de ses actes, et n'ayant d'autre pensée que l'idée fixe de la rotation de la table, imprime à son insu le mouvement au meuble. » Que ne commençait-il alors par se moquer de lui-même, puisqu'il lui plaisait de se moquer de M. Babinet ? C'eût été logique, surtout après avoir annoncé qu'il venait éclaircir le mystère, et du moment qu'il ne plaçait dans sa lanterne qu'un lumignon aussi ridicule que celui qu'avait précédemment allumé le savant académicien. Mais la logique et M. Louis Figuier ont divorcé dans cette histoire du merveilleux. Hélas ! les échos ont beau prétendre qu'ils vont parler, leurs efforts n'aboutissent qu'à répéter ce qu'ils entendent.

« Quant aux longs chapitres qu'il consacre à la baguette divinatoire, et en particulier à Jacques Aymar, nous nous permettrons d'abord de lui faire observer qu'il s'abuse s'il pense que ce problème a été suffisamment étudié par M. Chevreul. C'est une illusion qu'il peut laisser, si bon lui semble, à ce savant ; mais en dehors de l'Académie des sciences, il ne trouvera personne qui admette que la théorie du pendule explorateur réponde à toutes les objections. Le mot prêté à Galilée : « Et cependant elle tourne ! » n'est pas sans une application possible à la baguette divinatoire. Elle a tourné et elle tourne, en dépit des sceptiques qui nient le mouvement, parce qu'ils se refusent à le voir ; et les milliers d'exemples que nous pourrons citer, - et que M. Louis Figuier cite lui-même, - attestent la réalité du phénomène. Tourne-t-elle par une impulsion diabolique ou spirite, comme on dirait aujourd'hui, ou bien sous l'impression qu'elle reçoit de quelques effluves inconnus ? Volontiers nous rejetterons toute influence surnaturelle, quoiqu'elle puisse être admise dans certains cas. Ce qui ne nous paraît pas prouvé, c'est la non-existence de fluides inconnus. Le fluide magnétique compte, entre autres, de nombreux partisans, dont les affirmations méritent autant d'autorité que les négations de leurs adversaires. Quoi qu'il en soit, la baguette divinatoire a accompli des merveilles qui peuvent n'avoir rien de surnaturel, mais que la science est incapable d'expliquer, elle qui en explique d'ailleurs fort peu de toutes celles que nous voyons se produire chaque jour autour de nous, dans la vie du moindre brin d'herbe. La modestie est une vertu qui lui fait défaut, et qu'elle ferait sagement d'acquérir.

« Entre autres merveilles, celles qu'accomplissait Jacques Aymar, dont nous parlions tantôt, mériteraient d'être rapportées au long. Un jour, entre autres, il est appelé à Lyon, au lendemain d'un grand crime commis dans cette ville. Armé de sa baguette, il explore la cave qui en avait été le théâtre, déclare que les assassins étaient au nombre de trois ; puis il se met à suivre leurs traces, qui le conduisent chez un jardinier dont la maison était située sur le bord du Rhône, et affirme qu'ils y sont entrés, qu'ils y ont même bu une bouteille de vin. Le jardinier proteste du contraire ; mais ses jeunes enfants interrogés avouent que trois individus sont venus, en l'absence de leur père, et qu'ils leur ont vendu du vin. Alors Aymar se remet en route, - toujours conduit par sa baguette, - découvre l'endroit où ils se sont embarqués sur le Rhône, se jette lui-même dans une nacelle, descend à tous les endroits où ils sont descendus, se rend au camp de Sablon, entre Vienne et Saint-Vallier, trouve qu'ils y ont séjourné quelques jours, se remet à leur poursuite, et arrive d'étape en étape jusqu'à Beaucaire, en pleine foire, dont il parcourt les rues encombrées de monde et s'arrête devant la porte de la prison où il entre et désigne un petit bossu comme étant l'un des meurtriers. Ses investigations lui firent ensuite trouver que les autres s'étaient dirigés du côté de Nîmes ; mais les agents de l'autorité ne voulurent pas alors pousser plus loin leurs recherches. Le bossu, conduit à Lyon, confessa son forfait, et fut rompu vif.

« Voilà l'exploit de Jacques Aymar, et les exploits aussi surprenants que celui-là sont nombreux dans sa vie. M. Louis Figuier l'admet dans toutes ses circonstances. Il ne pouvait d'ailleurs faire autrement, puisqu'il est attesté par des centaines de témoignages dont il n'est pas permis de suspecter la véracité, « par trois relations et plusieurs lettres concordantes écrites par les témoins et par des magistrats, hommes également honorables et désintéressés, et que personne, dans le public contemporain, n'a soupçonné d'un concert véritablement impossible entre eux. » Mais comme ici une explication physique ne pouvait même être essayée, il s'est vu obligé de renoncer à son procédé ordinaire, et s'est jeté dans un labyrinthe de suppositions plus ingénieuses que vraisemblables. Il transforme Jacques Aymar en un agent de police d'une perspicacité à distancer celle de M. de Sartines, quelque célèbre qu'elle soit. Auprès de lui nos chefs de la police de sûreté les plus intelligents ne seraient que des écoliers. Il suppose donc que ce tourneur de baguette, pendant trois ou quatre heures qu'il passa à Lyon, avant de commencer ses expériences, eut le temps de prendre des informations et de découvrir ce que les autorités judiciaires ignoraient elles-mêmes. Il se rendit chez le jardinier, parce qu'il était présumable que les assassins s'étaient embarqués sur le Rhône, afin de s'éloigner plus vite ; il devina qu'ils y avaient bu du vin, parce qu'ils devaient avoir soif ; il aborda le long de ce fleuve partout où l'on sut plus tard qu'ils avaient réellement abordé, parce que les lieux habituels d'abordage lui étaient connus ; il s'arrêta au camp de Sablon, parce qu'il était évident qu'ils avaient voulu se donner le spectacle de cette réunion de troupes ; il se rendit à Beaucaire, parce qu'il était certain que le désir d'y faire quelque bon coup de leur métier les y avait conduits ; il s'arrêta enfin devant la porte de la prison, parce qu'il était probable que quelqu'un d'entre eux avait eu la maladresse de se faire arrêter. « Voilà pourquoi votre fille est muette ! » dit Sganarelle ; et M. Louis Figuier ne dit pas mieux ni autrement. Il croit surtout triompher, parce que Jacques Aymar, ayant été appelé plus tard à Paris, sur le bruit de sa renommée, y vit sa perspicacité subir des échecs réels, à côté de quelques réussites réelles aussi. Mais ces éclipses, qui lui valurent alors une certaine défaveur, M. Louis Figuier devait, moins que tout autre, lui en faire un reproche ; moins que tout autre, il pouvait s'en autoriser pour le déclarer un imposteur, lui qui sait mieux que personne, lui qui reconnaît, à propos du magnétisme, que ces sortes d'expériences sont capricieuses, et réussissent un jour pour échouer un autre. A cette inconséquence il en ajoute enfin une seconde, moins excusable. Non content d'accuser Jacques Aymar de charlatanisme, il prononce la même condamnation contre presque tous les tourneurs de baguette dont il raconte les faits et gestes, et dans la discussion, il dit cependant : « Parmi les nombreux adeptes praticiens, un petit nombre seulement étaient de mauvaise foi ; encore ne l'étaient-ils pas toujours ; le plus grand nombre opérait avec une entière sincérité. La baguette tournait positivement entre leurs mains, indépendante de tout artifice, et le phénomène, en tant que fait, était bien réel. » Bien, très bien, on ne peut mieux, la vérité est là. Mais comment et pourquoi tournait-elle ? Impossible d'échapper à cette interrogation indiscrète. Or M. Louis Figuier y répond ainsi : « Ce mouvement du bâton s'opérait en vertu d'un acte de leur pensée et sans qu'ils eussent aucune conscience de cette action secrète de leur volonté. » Toujours cette inconscience plus merveilleuse que le merveilleux qu'on repousse ! Y croira qui voudra. »



[1] Bureau, rue Sainte-Anne, 63, n° du 22 février 1861. Prix, par n°, 1 fr.


Articles connexes

Voir articles connexes